vendredi 22 août 2008


L'avventura, de Michelangelo Antonioni



Mai 1960, palais des festivals à Cannes : la projection de L'Avventura est un véritable fiasco. Hué par le public et soutenu par la critique, le film d'Antonioni, touche autant qu'il exaspère. Sublimé par l'interprétation évanescente de Monica Vitti, ce film-manifeste renverse brutalement les codes de la dramaturgie classique pour ouvrir la brèche à un nouveau cinéma de la modernité. La bataille d'Hernani peut (re)commencer...

Synopsis
Evoluant dans les sphères ethérées de la grande bourgeoisie romaine, Anna retrouve son fiancé Sandro et sa meilleure amie Claudia, pour une croisière vers les ïles éoliennes. Sur le bateau, ennui et oisiveté règnent en maîtres. Au cours d'une escale sur l'île volcanique de Lisca Bianca, les amoureux se disputent violemment et Anna, en proie à ses démons personnels s'enfuie en courant dans les dédales rocailleux. Au coucher du soleil, elle n'est toujours pas réapparue et ses amis sont forcés de constater sa disparition. Les recherches commencent alors, d'abord sur l'île puis sur le continent. Mais Anna reste introuvable et très rapidement une force obscure précipite sa meilleure amie Claudia dans les bras de son ancien fiancé Sandro...

Analyse
L'avventura est le plus beau guettapens de l'histoire du cinéma : un titre chargée de promesses qui débouche sur une impasse, une disparition sans résolution, des personnages sans intention. A propos de l'avventura, Antonioni aimait à parler de « film policier à l'envers » : plus on avance dans le film, plus le mystère lié à la disparition d'Anna se délite. L'intérêt de l'enquête est quasi nul et le sujet du film se recentre artificiellement sur le désir coupable des deux amants sans jamais chercher la justification. Le cinéaste bouscule sévèrement les règles du cinéma classique : il broie la structure traditionnelle du récit, invente des personnages ambigus et interchangeables et tire tant qu'il veut sur les ressorts temporels. Son regard aiguisé se pose sur les interstices, les attitudes et les non-dits. Les décors sont hostiles ou insolites : de l'île rocailleuse de Lisca Bianca, au grand hall d'un palace déserté à l'aube.

Les valeurs ainsi portées par le cinéaste répondent à celles du Nouveau Roman, courant littéraire apparu en 1957 (seulement 3 ans avant la sortie du film) et dont les chefs de fil furent Alain Robbe-Grillet ou Nathalie Sarraute. Ce lien ténu entre le Nouveau Roman et le Nouveau Cinéma trouvera sa résolution dans la collaboration artistique de Robbe-Grillet et de Resnais sur 'l'année dernière à Marienbad » autre fleuron de la modernité. Mais c'est définitivement Antonioni qui ouvre la voie avec ce premier volet d'une trilogie fulgurante : il tournera l'Eclipse en 1961 et La Notte dans la foulée en 1962. Cette connivence prend toute son ampleur sous la plume de Nathalie Sarraute dans « l'ère du soupçon ». Ses mots pourraient être ceux d'Antonioni : "II a vu le temps cesser d'être ce courant rapide qui poussait en avant l'intrigue pour devenir une eau dormante au fond de laquelle s'élaborent de lentes et subtiles décompositions; il a vu nos actes perdre leurs mobiles courants et leurs significations admises, des sentiments inconnus apparaître et les mieux connus changer d'aspect et de nom."

Dans ce contexte l'Avventura fait figure de film révolutionnaire. Mais au delà du cas d'Ecole, l'Avventura est une ode à la beauté énigmatique de Monica Vitti. Ennuyée, désabusée et amoureuse, cette poupée sublimée par le noir et blanc se fait ballader entre Rome et Otto sans jamais avoir son mot à dire. Elle porte les robes de la disparue et enfile des perruques noires qui rappellent la chevelure sombre de Léa Massari. Les contours flous et apathiques de sa personnalité finiraient presque par lasser. Mais sa dimension psychologique proche du néant nous laisse le loisir d'épouser chacun de ses gestes et d'adorer sa moue silencieuse autant que ses regards ourlés. On s'ennuie délicieusement. C'est à n'y rien comprendre, mais le cinéaste du tropisme dans un bel élan de mansuétude finit par nous livrer gracieusement la clé du film : "La conclusion à laquelle mes personnages parviennent n’est pas l’anarchie morale. Ils parviennent, tout au plus, à une sorte de pitié réciproque. Cela aussi, c’est vieux, me direz-vous. Mais que nous reste-t-il sans cela ?"


Fiche Film
Un film franco-italien de Michelangelo Antonioni (1960, noir et blanc).

Scénario : Michelangelo Antonioni, Elio Bartoloni et Tonino Guerra
Photographie : Aldo Scavarda
Montage : Giovanni Fusco
Décors : Piero Poletto
Musique : Giovanni Fusco
Production : Cino Del Duca, Europée, Société cinématographique Lyre
Durée : 2 h 20 min
Avec : Monica Vitti (Claudia), Gabriele Ferzetti (Sandro), Léa Massari (Anna).

Aucun commentaire: