lundi 28 juillet 2008


Aguirre, la colère de Dieu



Dès le premier plan de 'Aguirre, la colère des Dieux' on sait d'emblée que quelque chose ne tourne pas rond. Un défilé lent à flanc de montagne avec des perspectives vertigineuses. On est au coeur de l'Amazonie en 1560.

Synopsis
Un cortège hétéroclite d'indiens et de conquistadores se fraye un chemin au coeur de cette nature hostile et souveraine. Le contexte est celui des invasions espagnoles du XVI ème siècle et de l'effondrement de l'empire incas. Une fresque folle et hallucinatoire qui suit les aventures exotico-historiques d'un groupe de crève-la-faim en quête d' El Dorado. Aguirre, personnage féroce et ambitieux parvient vite à prendre le pouvoir de cette expédition pour devenir le triste roi d'un radeau à la dérive sur le fleuve Urubamba.

Analyse
Ce qui séduit dans ce film de Werner Herzog, c'est d'abord la puissance des contrastes : la crinoline des robes des héritières de Castille dans les terrains boueux de la forêt vierge ou la rage teigneuse d'Aguirre qui se meut en douceur incestueuse quand il s'adresse à sa fille. Le cinéaste adopte un style quasi documentaire pour nous livrer une vision non complaisante du thème de la conquête des Amériques. L'attente interminable, les mutineries, la promiscuité, l'ennui, l'absence des femmes, la violence. Le radeau porte en lui, une forme dérivée de la condition humaine. Sa course semble dérisoire et inutile, et son capitaine, Aguirre, est le plus fou et le plus haineux de tous. Défiant Dieu par sa prétention et par sa soif d'or et de sang.

C'est l'histoire d'une guerre pour l'or, où les flèches empoisonnées tombent des arbres. L'histoire d'un ennemi sans visage, qui résiste sur ses terres. Le mythe du bon sauvage est balayé d'un revers de caméra : l'équipage pénètre dans un village indigène et découvre horrifié les restes d'un festin cannibale. On évite les lieux communs sur l'homme civilisé et l'homme à l'état de nature, thèmes chers à Terrence Malick dans son 'Nouveau Monde' et fascination du pire oblige on découvre que Werner Herzog parvient à dilater le temps pour donner toute sa dimension au concept de lente agonie. Tout ça ne passerait pas si le film ne cédait pas, de temps à autre, à la tentation de l'absurde. Des parenthèses oniriques viennent ainsi ponctuer le récit : un pur-sang se cabre dans les rapides, des princesses se coiffent entre deux exécutions et un navire flotte à la cime des arbres.

Pour incarner Aguirre, un fou galvanisé par la haine et la volonté de puissance, avec toujours en ligne de mire le spectre nietzschéen du surhomme, il fallait un interprète pour le moins aliéné. Et Klaus Kinski est né, jouant cette partition torturée avec toute sa hargne et sa démence. Créant sa propre mythologie : voix rugueuse, yeux exorbités, front d'alien et cheveux d'or. Le tournage fut un cauchemar et une aventure effroyable. La jungle et les rapides furent finalement plus cléments que le caractère impétueux (qui a dit euphémisme?) de l'acteur allemand. Werner Herzog tirera même de ses relations explosives avec son comédien fétiche, le sujet de son très bon documentaire 'ennemis intimes'.

Le film se clôt sur un plan giratoire d'une grande intensité, un tourbillon formel qui se referme sur Aguirre. Son radeau est infesté de petits singes hurleurs, il en tient un dans son poing, signe de la terrible vacuité de sa vie et on assiste, médusé, à la naissance cinématographique d'un des plus grands anti-héros que le Nouveau Cinéma Allemand ait porté : Aguirre, der Zorn Gottes.


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